Si vous voyez courir sur une piste de tartan des jeunes harnachés de leur équipement sportif et d’une sorte de bonnet de bain dont sortent toute une série de câbles, c’est que Vera Abeln est en train d’étudier le bonheur. Cette titulaire d’un doctorat en sciences du sport de la Deutsche Sporthochschule Köln veut savoir pour quoi et comment le sport augmente le bien-être. «Le sport améliore l’humeur, apaise l’esprit, rend plus résistant au stress et peut prévenir les dépressions», révèle-t-elle.
Nombreux sont les sportives et sportifs qui décrivent un incroyable sentiment de bonheur, une euphorie ou une profonde satisfaction intérieure pendant le sport et les deux heures qui suivent. Avec lesdits bonnets qui en réalité servent à mesurer l’activité électrique du cerveau, V. Abeln cherche à savoir ce qui se passe dans le cerveau lors de la pratique du jogging.
Que se passe-t-il dans le cerveau?
«Le sport fait entrer en état de flow. Cette sensation peut rendre accro. On a l’esprit plus créatif, les bonnes idées viennent plus facilement», explique Patrik Noack, responsable du Sports Medical Center Medbase Abtwil et Chief Medical Officer Swiss Olympic Team.
Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer ce phénomène, en particulier l’hypofrontalité. Le sport d’endurance diminue l’activité du cerveau dans les lobes frontaux, zones qui sont notamment responsables de la pensée et de la raison.
À son rythme
V. Abeln utilise l’image d’un ordinateur qui doit exécuter plusieurs processus en même temps. «L’arrêt de certains programmes libère des ressources pour optimiser la réalisation des tâches.» C’est un peu la même chose qui se produit avec le sport, qui en quelque sorte fait baisser le «bruit de fond neuronal». C’est pourquoi l’on est plus attentif et concentré après l’effort. «Courir vide la tête», résume la scientifique du sport. Et plus encore quand on est maître de son rythme.
Faire du sport augmente la production des endocannabinoïdes impliqués dans la sensation de bonheur. Ces molécules chimiquement semblables au cannabis passent du sang au cerveau pour produire un agréable effet relaxant. Il est fort probable qu’un véritable cocktail de neurotransmetteurs soit la clé du bonheur procuré par le sport: «GABA, BDNF, IGF-1, sérotonine …» – les substances que Vera Abeln énumère ont ceci en commun que l’activité physique augmente ou diminue leur synthèse et agit ainsi positivement au niveau des cellules cérébrales.
L’exercice aide à éliminer le stress
C’est aussi en faisant chuter les hormones du stress que l’activité physique favorise le sentiment de bonheur. Enfin, les bien-faits du sport sur le sommeil expliquent que les personnes physiquement actives se sentent souvent mieux que celles qui sont plus paresseuses.
L’on ignore encore exactement à quelle dose le sport procure du bien-être. La plupart des études suggèrent de pratiquer une activité sportive modérée et de prévoir une récupération suffisante. Attention: «Les exercices physiques de haute intensité peuvent provoquer une perturbation de l’humeur», avertit Vera Abeln.
Ici et maintenant
«Selon de solides études, le sport peut être aussi efficace chez des personnes dépressives qu’un médicament antidépresseur», indique Oliver Stoll, professeur en psychologie, pédagogie et sociologie du sport à l’université de Halle-Wittenberg. L’important est de pouvoir grâce au sport «faire cesser les ruminations pénibles pour être dans la conscience de l’ici et du maintenant».
Le sport renforce le sentiment d’action et d’accomplissement. «Réussir dix tractions d’affilée développe la confiance en soi», souligne Patrik Noack. Oliver Stoll recommande les disciplines «où l’on ne peut pas perdre. Pour installer des changements durables, il faut s’entraîner une à deux fois par semaine pendant au moins six mois.»
Des sportives et sportifs «en manque»
Il y a aussi un effet boomerang: «Quand on ne peut pas s’entraîner pendant un certain temps, on se laisse gagner par l’insatisfaction et la mauvaise humeur», dit par expérience Patrik Noack. Vera Abeln s’est aussi intéressée à la question – avec des étudiants en sport qui devaient mener 30 jours durant une vie de parfait sédentaire. «Les performances intellectuelles, l’humeur, le sommeil – tout s’est dégradé», précise V. Abeln. «Et à une vitesse étonnante.»
( Dr. med. Martina Frei)