150 km à la nage, quel exploit ! Comment l’idée de traverser le lac à la nage vous est-elle venue ?
Flavie Capozzi: Quand j’étais petite, j’ai toujours dit à mon papa que je traverserais le lac à la nage. J’étais jeune et donc j’ai mis ça un peu de côté. J’ai fait ma vie, terminé mon école, achevé mon apprentissage et puis j’ai eu un moment de vide. J'aime bien les challenges et repousser mes limites. Je me suis donc dit, c’est le moment, on y va! Et en 2019, je faisais ma première traversée du Lac : 75km en 31 heures et 19 minutes. J’ai alors pensé que si tout se passait bien, je ferais quelque chose de plus gros, et c’est donc pour ça qu’en 2022, je me suis fixée l’objectif de faire l'aller-retour, donc le double!
On peut imaginer une grande préparation physique derrière cet exploit. Comment vous êtes-vous préparée à ce challenge ?
F: C’est deux années de préparation pendant lesquelles j’avais des entraînements tous les jours. Des entraînements de natation, mais également du yoga et des entrainements respiratoires. Il faut savoir que j’ai eu le covid avec des séquelles pulmonaires. Donc en plus de la rééducation physique, j’ai dû faire une rééducation pulmonaire. La semaine, c’était plutôt des entraînements en piscine et le weekend au lac ! Je nageais entre 2 et 12 heures par jours !
Au niveau diététique, avez-vous suivi un régime alimentaire spécial ?
F: Quand j’étais plus jeune, j’ai malheureusement eu des troubles alimentaires et pour la première traversée, ça avait été très dur de m’alimenter, car j’ai dû prendre 15 kilos pour la première traversée! Il s’agissait de muscles mais c’était très difficile de voir mon corps changer et se transformer. En quelque sorte, c’était une thérapie et par la force des choses, cela m’a réconcilié avec la nourriture. J’ai réappris à manger correctement sans régime particulier. Il fallait par exemple, manger trois repas par jours et manger suffisamment par rapport aux entraînements que j’avais. Pour la deuxième traversée, j’ai dû prendre 5 kilos supplémentaires pour avoir suffisamment d’énergie. Sachant que j’allais passer 61 heures dans l’eau, il fallait que j’aie des réserves pour aller jusqu’au bout !
Quelle logistique a été mise en place pour mener à bien ce challenge et combien de personnes étaient autour de cet évènement ?
F: J’avais, en effet, une grosse équipe : deux médecins, deux physios, deux masseurs, un nutritionniste, trois coachs, trois pilotes de bateaux, trois bateaux (rires) et mon papa qui gérait l’administratif ! C’était une grosse équipe de vingt-cinq personnes environ, en comptant les femmes des pilotes et ma maman, qui nous amenaient de la nourriture sur le lac. C’était une grande famille! Chacun avait son rôle sur le bateau. Les médecins géraient les moments où je n’allais pas bien et les physios s’occupaient de ma musculature quand j’avais parfois mal. Chacun avait son rôle et restait à sa place. Concernant les bateaux, nous avions un bateau principal, un bateau navette, qui s’occupait d’aller chercher les gens au port pour me rejoindre, et un troisième bateau voilier pour que les gens puissent se reposer pendant les trois jours.
La Dre Alexandra Nowak, spécialiste en médecine physique et réadaptation FMH et médecin du sport à Medbase Lancy Pont-Rouge, vous a suivi durant ces trois jours. Quelle place a-t-elle eu dans votre challenge ?
F: J’ai rencontré la Dre Alexandra Nowak un mois seulement avant le challenge, car j’avais un problème à l’épaule. Quand je lui ai proposé de me suivre dans mon challenge, elle a tout de suite été partante pour participer à cette aventure! Pendant la traversée, elle avait un rôle-clé sachant que c’était le médecin qui assurait ma sécurité médicale pour aller au bout du challenge. Les médecins fonctionnaient en binôme avec les physios et faisaient des tournus toutes les 5 à 8 heures. Elle était là pour gérer mes coups de fatigue, soigner mon insolation et divers symptômes comme les vomissements, les diarrhées, les crampes d’estomac, et même une otite! J’ai eu pas mal de choses! Les médecins avaient cette lourde responsabilité me concernant mais également pour soigner toutes les autres personnes présentes sur le bateau. La Dre Nowak a ainsi eu un rôle très important tout au long du challenge.
Comment se prépare-t-on à la traversée d’un point de vue stratégique ? Les courants et les températures étaient-ils à prévoir ?
F: En s'entraînant pendant deux ans, en plein milieu du lac, il y a parfois des contre-courants, des vagues, et on s’y habitue. Mais en plus de cela, nous avons utilisé une application pour anticiper les courants. Nous nous sommes beaucoup fiés à cette application. Le plan de base prévoyait de nager sur la côte suisse car durant la première traversée nous avions nagé sur la côte française, et il y a eu énormément de courants, notamment celui du Rhône passant sous le lac pour ensuite remonter! Mais cette fois-ci, l’application nous montrait que les courants étaient quand même plus favorables côté France et on a décidé de passer de nouveau du côté France. On a tout de même été touché par une petite tempête et on a dû faire une pause de 2 heures car il était impossible de naviguer à ma vitesse de nage. Parallèlement, cela faisait 36 heures que je n’avais pas dormi donc j’en ai profité pour me reposer. A part l’application, on y est allé à l'instinct, qu’il fasse chaud ou froid, il fallait y aller! On ne peut pas tout prévoir!
Aviez-vous un matériel particulier ou une combinaison spéciale pour la traversée?
Malgré la canicule, les médecins m’ont quand même conseillé de porter une combinaison et de m’enduire le corps de graisse de bœuf. C’était pour éviter les éventuelles infections que peuvent provoquer les frictions entre la combinaison et la peau mais également le contact avec l’eau pendant de longues heures. J’avais aussi une bouée pour assurer ma sécurité en cas de malaise.
Comment votre corps s’est-il remis de cette traversée physiquement et mentalement?
F: Mon corps s’est parfaitement remis, je n’ai eu aucune courbature. Du point de vue du sommeil, c’était une autre histoire. Pendant les trois jours sur le lac, j’ai dormi moins de 3 heures et la récupération du sommeil a été difficile. Mais je dois dire que le plus dur, c’est le mental. En effet, je m’étais promis que ce serait le dernier challenge avant quelques années. Aujourd’hui, j’ai 24 ans et je souhaite construire une famille et avoir des enfants. Malheureusement, il est difficile d’allier les enfants et les défis sportifs. J’ai passé deux ans à m’entraîner et l’absence de challenge me donne un léger sentiment de vide, mais je sais que c’est un passage normal, avant de revenir, plus forte. Il faut juste prendre le temps d’accepter la redescente de l’adrénaline. Ce sont certainement des moments qui nous font grandir et revenir plus forts. Je le vois donc comme quelque chose de positif.
Comment s’est passée cette traversée par rapport à celle de 2019 ? Qu’est-ce qui a été plus le simple ou le plus dur ?
F: Si je dois comparer les deux, j’ai préféré faire l’aller-retour. Même si cela peut sembler plus difficile, c’était encore plus amusant que la première fois. L’encadrement était plus grand, nous avions plus de bateaux et plus de monde. J’ai aimé partager avec mon équipe pendant ces trois jours. Lors de la première traversée en 2019, nous partions un peu dans l’inconnu, et cette année, je savais dans quoi je me lançais. En revanche, ce qui a été plus dur, c’est que mon corps a plus réagi durant la traversée de cette année.
Quelles nages avez-vous choisies et pour quelles raisons ?
F: Uniquement du crawl. La première fois, c’est vrai que j’avais beaucoup nagé sur le dos parce que j’avais froid et que ça me réchauffait de me tourner et d’avoir le soleil sur le visage…
Le 30 juillet, vous accomplissez votre challenge, quel est le sentiment à votre sortie de l’eau ?
F: A l’arrivée, on avait 5 heures d’avance. Il était prévu que l’on arrive entre 12 et 15 heures et finalement on est arrivé à 10 heures le matin. On était en petit comité, on a pu profiter tous ensemble et c’était trop bien! Je me dis “on a réussi” ! On a réussi, avec toute l’équipe, avec toutes ces personnes qui sont restées trois jours sur le lac avec moi. Certains étaient tombés malades! Mon copain a le mal de mer et il est quand même resté! Je savais au fond de moi, que pour me fixer un challenge comme celui-ci, c’était pour le réussir. Dans tous les cas, j’étais convaincue qu’on allait aller au bout, malgré toutes les épreuves. Je suis contente mais pas encore satisfaite des capacités que mon corps peut avoir. Je pense pouvoir repousser encore plus mes limites et j’ai envie d’aller plus loin. Par ailleurs, j'étais surprise d’être aussi bien! Certes, j’ai quand même eu le mal de terre, je tanguais et j’avais de la peine à tenir debout! On a ensuite déjeuné avec toute l’équipe au bain des Pâquis. On est rentré le soir se doucher puis reparti manger une fondue au port des Abériaux, chez moi, et on a terminé la soirée à minuit! J’avais encore de l'énergie pour profiter avec mon entourage!
Le challenge est entièrement en faveur d’une association Burkinabé essayant de faciliter l’accès à l’eau potable, est-ce que vous pouvez nous parler de cette dernière. Pourquoi celle-ci vous tient-elle à cœur ?
F: En Suisse, on est très avantagé au niveau de l’eau potable. J’ai personnellement la chance de pouvoir nager dans des tonnes d’eaux, alors qu'à l'autre bout du monde, il y a des populations qui n’ont pas accès à l’eau potable. Ils doivent parfois faire 40 minutes pour en obtenir. Je me suis dit que ça pouvait être intéressant d’allier l’eau à l’eau. J’ai beaucoup voyagé en Afrique avec ma famille et j’ai retrouvé les mêmes valeurs véhiculées par ma famille au sein de cette association. C’est comme ça qu'on a décidé de partir à l'aventure avec eux. Et grâce à tous les donateurs et les sponsors, on a récolté un montant à la hauteur de 50’000 francs qui vont permettre de construire sept forages et donner un accès à l’eau potable à 4000 personnes. Je trouvais intéressant de sensibiliser la population à cette problématique et d’allier ces deux projets.